Cette étape est la plus difficile du trek, avec un indice IBP élevé, le froid, la pente raide et la haute altitude ; départ à 23h30 pour 1200m de dénivelé en vue d'atteindre Stella Point en principe en 6h mais il nous faudra beaucoup plus de temps. A cette altitude l'effort est conséquent, le froid est mordant, un léger vent glacial souffle depuis l'est et nous gèle le visage un lacet sur deux. Sur les conseils de notre guide Adam, j'ai rangé la batterie de mon appareil photo et mon GPS au chaud près du corps pour éviter que le froid ne les décharge.
Notre guide nous a recommandé de mettre 4 couches sur les jambes et le tronc (je n'en ai que trois) et même chose pour le buste et cela n'est pas de trop compte tenu du rythme de notre progression car notre corps produit moins de chaleur.
Au bout d'une heure trente, nous parvenons à Kosovo Camp, 200m plus haut que notre point de départ.
Je dois bientôt échanger mes moufles avec celles de ma compagne car les siennes sont insuffisantes (pourtant recommandées par notre revendeur spécialisé en équipement de montagne, à 110€ la paire, il va m'entendre : si j'ai un conseil à donner, prendre des moufles Level Membra-Therm-Plus indice 4000 ou 5000). J'ai beau mettre des chaufferettes à l'intérieur de ces moufles avec des gants légers de surcroît, j'ai froid aux pouces. J'en comprendrais bien plus tard la raison en lisant le mode d'emploi écrit sournoisement en caractères minuscules : retirer la chaufferette de l'emballage et la laisser à 20°C pendant 10 minutes... L'activation de la chaufferette peut être difficile à haute altitude (supérieur à 2000 m) ou à basse température (inférieur à 0° centigrades). Si j'ai bien compris, cette chaufferette ne fonctionne qu'à la plage en été : nul, nul, nul....
Mon amie a eu la tourista la veille, elle n'a pratiquement rien mangé et elle n'est pas en forme, elle doit s'arrêter 5 secondes tous les trois pas pour reprendre des forces, j'adopte ce rythme qui finit par me convenir. Elle engloutit régulièrement un tube de gel énergétique pour tenir le coup.
Peu importe le temps que nous mettrons, nous souhaitons avant tout arriver au sommet et surtout éviter le mal des montagnes, nous avons autrefois largement donné au Tibet, notamment dans la Friendship Highway. C'est notre souffle qui rythme notre montée en nous interdisant tout emballement. Nous n'aurons à déplorer aucun mal de tête hormis la fatigue et la perte d'appétit : chi va piano, va sano e va lontano.
Au bout de deux heures, nous avons été dépassé par des groupes de plus de cinq personnes et leur cadence me semblait un peu rapide. Une heure plus tard, ils sont déjà bien au-dessus de nous mais nous apercevrons ensuite quelques frontales tournées vers la pente : un groupe de six personnes termine l'aventure en redescendant au camp et peu après une autre personne accompagnées d'un assistant. Il n'y aura pas d'autre tentative pour eux. Nous en dépasserons un autre à l'arrêt avec un guide, visiblement à la peine, il finira par nous suivre mais nous le distancerons malgré notre rythme de tortue. Statistiquement, le taux de réussite de l'ascension du Kilimanjaro en 6 jours par la voie Machamé n'est que de 73%, ce qui nous avait été clairement annoncé avant de partir.
Dans cette ascension nocturne, on perd les repères - temps et effort fourni - et c'est un avantage, jusqu'à ce que l'aube pointant au loin nous signale que nous avons marché plusieurs heures, comme sortant d'un rêve. Puis c'est au tour de l'aurore pointant sur Mawenzi suivie des premiers rayons de soleil qui ne nous réchauffent pas vraiment. Nous parvenons au niveau des premiers blocs de glace. Il reste 400m de dénivelé pour arriver à Stella Point avec nos semelles de plomb ; notre guide et son assistant ont une patience à toute épreuve. Sans eux, nous aurions pu difficilement atteindre le sommet.
Un groupe de sauveteurs - les rangers - nous dépasse bientôt, nous croiserons ensuite par deux fois l'un d'eux dans la descente épaulant une personne sous oxygénothérapie. La haute altitude, ça ne plaisante pas.
Parvenus à Stella Point, j'hésite à poursuivre vers le sommet vu l'état de fatigue de ma compagne et l'heure avancée ; mais le guide nous incite à poursuivre vers Uhuru Peak sur un chemin presque plat en croisant sur notre gauche un reste de glacier. Il reste une centaine de mètre de dénivelé jusqu'au sommet pour un kilomètre de distance. Il y a beaucoup moins de monde que les jours précédents, les personnes présentes donnent l'impression d'être en simple promenade dominicale, sans rapport réel avec l'altitude, certains arrivant par la voie Marangu. Par chance, le temps est radieux, le soleil nous réchauffe et l'on profite d'une vue panoramique.
Le chemin qui mène au sommet est exempt de neige, notre guide nous dit que des crampons étaient nécessaires 5 ans plus tôt : mais où sont les neiges d'antan ? Au nord se trouvent le glacier du cratère Kibo et le glacier Furtwängler qui auront pratiquement disparu dans moins de vingt ans. Assez bizarrement, bien qu'à une altitude inférieure de 750m, le cratère Kibo semble être à la même hauteur que Huhuru Peak et peut-être même plus.
Le panneau marquant le sommet de Huhuru Peak est pris d'assaut par un vingtaine de personnes qui se relaient bruyamment pour une séance photo, en déployant tour à tour leur drapeau national devant le trophée ; nous jouons des coudes pour obtenir une place. Il nous aura fallu 10h pour y parvenir, mon amie est épuisée et n'en pouvait plus de monter depuis un bon moment ; pour la convaincre de poursuivre jusqu'au sommet, le guide l'a épaulée sur le dernier kilomètre et il en sera de même dans la descente.
La descente est beaucoup plus rapide : effectuée en 2h20 sur un autre chemin, dans un mélange de gravier volcanique et de terre, elle soulève beaucoup de poussière et nous fait découvrir sous le soleil le long chemin gravi au cours de la nuit.
Revenus à Barafu camp, nous prenons un repos de deux heures et avalons à la sauvette un semblant de repas ; il était prévu initialement de redescendre à Mweka Camp mais nous décidons de nous arrêter à High Camp, à 4000m d'attitude et à 2 heures de Barafu Camp, où nous retrouvons une végétation de type méditerranéen, partiellement dévastée par un incendie, avec des températures nettement plus chaudes.
N.B. L'indice IBP de 207 pour cette partie du trek est important mais ce n'est pas le plus élevé pour nous : estimé à 230 lorsque nous avons fait l'aller retour Gangotri - Source du Gange - 36km dans la journée, mais on était plus jeunes, pleins d’allant et encore plus lessivés !